24 novembre 2023, 15h30
À l’été 2020, je lis Malina, le dernier roman écrit par I. B. L’ouvrage a un effet de contamination si fort qu’on me conseille de cesser ma lecture. Je fais ce qu’on me dit de faire, mais j’approfondis mes recherches. J'apprends que le livre se termine par les mots es war mord – c’est-à-dire it was murder, dans la version en anglais que je lis. L’été dernier, je décide de lire la traduction française. Je ne passe pas la page 185. Je vérifie tout de même la dernière: c’était un crime. Cette traduction agît en traître parce qu’elle efface l’accusation du meurtre.
Pendant trois ans, je me demande: qui est le meurtrier dans ces suicides qui se font lentement, obstinément, sur la durée; dans les vies « mal vécues »? En résultent une archivage de citations, une accumulation de gestes, de manières d’être au monde. Je les superpose et les opacifie pour refuser le corps que créent les psychiatres – un corps de symptômes, d’hérédité, de diagnostics; ignorant d’un trait de crayon de quelles manières la violence circule et comment elle ne quitte jamais les corps de celleux qui la vivent, qui se la passent de douleur en douleur, de souffrance inexpliquée en souffrance inexpliquée, de disparition en disparition.
Lors de la performance au Lieu ayant initié la présentation publique de ce cycle de travail, en 2021, je buvais en continu dans une coupe, n’arrêtant jamais de laisser le liquide s’accumuler. J’avais trouvé une bouteille sur laquelle on pouvait lire: Akerman. À travers mon regard, dans Je, tu, il, elle le personnage s’ensucre comme les folles à qui l’on faisait faire des chocs insuliniques. Ce geste s’inscrit autant dans ma généalogie que le récit d’un souvenir du goût des céréales sucrées de l’hôpital psychiatrique. Les deux gestes adviennent à la même époque, dans la fiction et dans la vie – à l’époque des barbituriques qui tuent I. B. et au moment de la disparition de son personnage sans nom; à la même époque où un mouvement révolutionnaire de malades auto-proclamées écrit sans aucun doute suicide = murder.
Cette exposition est la fin d’un cycle de trois ans. Si le processus de ce cycle a pris de multiples formes, j’aimerais croire qu’il prend fin dans une fixité qui lui est contraire. L’exposition ne rend pas compte du processus. L’exposition est la preuve et un jeu sur la preuve, une pratique de la citation.
A. G.
À l’été 2020, je lis Malina, le dernier roman écrit par I. B. L’ouvrage a un effet de contamination si fort qu’on me conseille de cesser ma lecture. Je fais ce qu’on me dit de faire, mais j’approfondis mes recherches. J'apprends que le livre se termine par les mots es war mord – c’est-à-dire it was murder, dans la version en anglais que je lis. L’été dernier, je décide de lire la traduction française. Je ne passe pas la page 185. Je vérifie tout de même la dernière: c’était un crime. Cette traduction agît en traître parce qu’elle efface l’accusation du meurtre.
Pendant trois ans, je me demande: qui est le meurtrier dans ces suicides qui se font lentement, obstinément, sur la durée; dans les vies « mal vécues »? En résultent une archivage de citations, une accumulation de gestes, de manières d’être au monde. Je les superpose et les opacifie pour refuser le corps que créent les psychiatres – un corps de symptômes, d’hérédité, de diagnostics; ignorant d’un trait de crayon de quelles manières la violence circule et comment elle ne quitte jamais les corps de celleux qui la vivent, qui se la passent de douleur en douleur, de souffrance inexpliquée en souffrance inexpliquée, de disparition en disparition.
Lors de la performance au Lieu ayant initié la présentation publique de ce cycle de travail, en 2021, je buvais en continu dans une coupe, n’arrêtant jamais de laisser le liquide s’accumuler. J’avais trouvé une bouteille sur laquelle on pouvait lire: Akerman. À travers mon regard, dans Je, tu, il, elle le personnage s’ensucre comme les folles à qui l’on faisait faire des chocs insuliniques. Ce geste s’inscrit autant dans ma généalogie que le récit d’un souvenir du goût des céréales sucrées de l’hôpital psychiatrique. Les deux gestes adviennent à la même époque, dans la fiction et dans la vie – à l’époque des barbituriques qui tuent I. B. et au moment de la disparition de son personnage sans nom; à la même époque où un mouvement révolutionnaire de malades auto-proclamées écrit sans aucun doute suicide = murder.
Cette exposition est la fin d’un cycle de trois ans. Si le processus de ce cycle a pris de multiples formes, j’aimerais croire qu’il prend fin dans une fixité qui lui est contraire. L’exposition ne rend pas compte du processus. L’exposition est la preuve et un jeu sur la preuve, une pratique de la citation.
A. G.
Translation to come.