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Protocoles (25.10-01.12-24)
Alegría Gobeil

Protocoles
met en lumière les mécanismes de contrôle qui régissent l’accès à l’histoire de la psychiatrie telle qu’elle est vécue par les personnes qui en ont été l'objet, et l’empreinte de ces histoires sur les corps à ce jour toujours psychiatrisés. En jouant avec les règles implicites de l’espace d’exposition, Gobeil insère ses propres signes, en résonance avec la signalétique institutionnelle, tout en les subvertissant par des déplacements dissimulés.

À l’entrée de la galerie, une lettre adressée aux hôpitaux psychiatriques de l’Outaouais, sollicite des informations sur le traitement par choc insulinique, soupçonné d’avoir été utilisé jusqu’au début des années 1970. Cette missive questionne la circulation des informations liées à l’histoire psychiatrique, dans cette tension entre ceux qui en sont les experts, et celles qui en font l’expérience. À l’intérieur de la galerie, Gobeil crée un espace où chaque élément fait partie d’un protocole. Subtilement intégrées, chaque composante incarne une trace d’une action passée – suggérant qu’elle a toujours appartenu à la mémoire du lieu.

Le protocole en question vise à répéter un geste, tiré du film Je, tu, il, elle (1974) de Chantal Akerman. Contraint par l’espace, s’y dissimulant et s’y révélant, le mouvement est issu d’une séquence lors de laquelle un sac de sucre est renversé par la protagoniste du film, de manière faussement accidentelle. Préalablement à l’action, Gobeil, qui est hypoglycémique, a jeûné, puis ingère graduellement des cuillerées de sucre renversé, au fur et à mesure de son protocole. L’action altère momentanément le corps de l’artiste, se déroulant à même son sang.

En résulte une série d’images grand format, collées directement au mur, nous donnant un point de vue fixe sur le geste posé par Gobeil. Deux plaques de verre teinté sont encastrées à même le mur, au-dessus d’un banc nous permettant d’observer le geste d’une manière à répliquer l’angle de la caméra l’ayant documenté. À l’arrière de ces plaques sont disposés les deux tests de glucose marquant le début et la fin de l’action. Le banc, à la fois discret et omniprésent, loin d’être un simple objet d’assise, est le réceptacle silencieux du protocole, de cette mémoire performative – un filtre à travers lequel le geste psychiatrisé est à la fois contraint et (auto)-observé.

Un manteau recouvert d’une solution sucrée est posé au-dessus de la pièce, à même le grillage d’éclairage. Cristallisé, il devient à la fois spectre et présence palpable. Une porte de la salle de rangement est entrouverte – sur celle-ci se trouve un protocole donné au commissaire, lui enjoignant de nettoyer les traces de l’action, ces tas de sucre qui seront effacés de l’espace au fur et à mesure de l’exposition. Au sol, dans l’embrasure: des galons d’eau de javel, à utiliser sur le sol avant chaque ouverture de l’exposition.

Protocoles, par son opacité, renvoie à la négociation d’un héritage de violences psychiatriques. Échappant à l’anamnèse – le récit de soi et de sa famille en contexte médical, Gobeil interpelle, par l’absence et la répétition, à la fois l’archive et la fiction. L’exposition soulève ainsi des questions cruciales sur la transparence institutionnelle et la fragmentation des récits collectifs. Elle incarne une réflexion sur la construction de la mémoire sociale des psychiatrisé-es, à travers son impossibilité actuelle.

Philippe Bourdeau, Octobre 2024