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A m’achemine d’abord l’un des
protocoles (décrit ci-dessous), en plus
de me fournir les références. Je lis
dans le désordre. Je décide, plus tard,
de distribuer le contenu de mon texte
dans une structure tripartite. Je
conçois la première colonne comme
un espace mitoyen. Je fractionne à
travers les colonnes suivantes les
« objets » qui se sont amalgamés,
jusqu’à s’éclipser, au sein de l’action
d’A. Ses protocoles séparent des
champs de savoir, sans donner lieu à
l’absorption disciplinaire tant attendue
des artistes. Dans un article, ainsi que
son mémoire de maîtrise, A rend
compte de la procédure qui consiste à
soumettre l’annonce du « fait de
vouloir se blesser » au comité
d’éthique de l’Université du Québec à
Montréal. Ses membres y évaluent
les projets des étudiant·es et des
professeur·es afin de déterminer si
les participant·es humain·es — dont
les mots ou les images seront
prélevés — ont bien donné leur
consentement, puis dans quelle
mesure le travail qui sera entrepris
pourrait représenter un danger pour
elleux. Le protocole d’A met surtout
en évidence un paradoxe : ce geste
d’autoblessure a été avalisé par les
historiens de l’art de l’université
comme un passage à l’acte
(enactment) légitime. En dehors de ce
champ, mais toujours au sein de cette
institution, il est d’ores et déjà
psychiatrisé, même avant d’être posé.
Son intelligibilité dépend donc d’une
anamnèse clivée, une parole d’aveu,
qu’A en vient à déplacer à travers la
réflexivité du discours de sa
recherche. La requête de certification
a été, finalement, rejetée par le
comité en vertu de « possibles
répercussions physiques ou
psychologiques sur le sujet et son
entourage ». Un autre protocole d’A a
consisté à disséminer des gabarits
d’un formulaire officiel pour qu’une
personne visitant une exposition
puisse par la suite émettre une
demande auprès d’un hôpital et
obtenir son dossier médical. En
utilisant la galerie comme point de
chute, A interpellait toustes celleux
qui souhaitaient entamer les
procédures, mais surtout les
personnes psychiatrisées. À
L’imagier, A publicise une lettre
acheminée aux hôpitaux de la région
de l’Outaouais et d’Ottawa afin
d’accéder aux archives sur la cure de
Sakel pratiquée là, possiblement,
pendant les années 1960 et 1970. La
lettre a été envoyée avec les
coordonnées de la galerie dans
l’en-tête, en rendant l’institution
complice. Elle est affichée à l’endroit
où apparaissait auparavant le texte de
médiation de L’imagier. Je m’apprête
à résumer un autre protocole de
l’exposition. J’essaie aussi d’imaginer
ce qui se trouvera devant moi, dans
l’après-coup de l’action. A a
commencé par mesurer le niveau de
glycémie de son sang. L’échantillon prélevé
a été montré, plus tard, sur le
mur que l’on peut voir directement en
entrant dans la pièce. A a traversé
l’espace entre les extrémités de l’aire
impartie, tandis que des sacs de
sucre ont été vidés. Une fois le
contenu d’un sac dispersé, celui-ci a
été remplacé, jusqu’à ce que cette
trajectoire ait circonscrit le lieu dans
sa longueur. A a ramassé à plusieurs
reprises du sucre résiduel par terre. A
l’a ensuite avalé. La série de gestes a
été photographiée au fur et à mesure.
L’appareil était placé à l’endroit où se
trouvent maintenant un banc et le
texte du protocole. Au bout de la
pièce, un second échantillon de sang
a été prélevé, et un test complété. Les
photographies, en vis-à-vis du banc,
marquent désormais le passage d’un
corps à peine visible/lisible. On y
aperçoit la silhouette d’A réfléchie sur
le plancher très luisant de la galerie,
en train de photographier. On voit le
sucre dispersé, le sac et la cuillère,
puis l’écran flouté de l’outil qui lui
permet de mesurer son taux de
glucose. La trainée résiduelle de
sucre sur le sol de la galerie se trouve
en suspension en tant que signe, et
devient ainsi l’indice faible de la
présence d’événements que l’on ne
peut pas faire transiter par le langage
ou l’image. A dévie aussi de son axe
une ligne convoquant l’abstraction de
l’hérédité psychiatrique. Au cours
d’une communication antérieure, A a
affiché une diapositive montrant cette
ligne barrée par une « flèche
foufolle ». Lors de deux autres
circonstances, A a également diffracté
la ligne en simulant la graphie de
l’écriture de son psychiatre, ou bien
en cumulant en équation, gravée sur
une plaque de verre, le nombre de
cigarettes fumées depuis
l’adolescence. L’énonciation d’A
clignote, en omettant et en disant
certaines choses. Lorsque je partage
des détails qui semblent sur le point
de divulguer la biographie d’A, je brise
en partie le silence et j’annule
partiellement l’opacité, tout en restant
au seuil de cette limite critique.

(1) Alegria Gobeil, « Négociation de la
divulgation dans une pratique
performative anamnestique », Aspects
sociologiques, vol. 27, no 1 (2023),
p. 118-125 et Dire vouloir se blesser :
protocoles de compromission avec la
psychiatrisation de l’autoblessure dans
une pratique de l’art performance,
Montréal, Université du Québec à
Montréal, 2023. Mémoire de maîtrise.
Je n’avais jamais entendu parler de
la cure de Sakel avant qu’A ne
l’évoque. Tous les faits que je
commente dans la colonne, je les
ignorais en amont de la circonstance
de l’invitation à écrire. Des
photographies s’affichent, puis
quelques articles et images sur les
thérapies « de choc » apparaissent
lorsque je lance une requête Google
avec l’énoncé « Cure de Sakel ».
Les pages des sites Web des
institutions psychiatriques ne
fournissent, quant à elles, aucun
renseignement autour de ce
traitement tombé en désuétude.
J’évite d’abord de regarder les
images. Finalement, j’en isole une
parmi la constellation, et je m’y
attarde. Il faut que je décrive,
maintenant, le déroulement de la
cure. Elle a été inventée en 1927
par Manfred Sakel et pratiquée sur
des personnes diagnostiquées
schizophrènes ou dépressives bien
au-delà de l’arrivée des
neuroleptiques. On administrait alors
une dose d’insuline pour réduire le
niveau de glucose sanguin et
provoquer un coma
hypoglycémique. Des infirmières et
des infirmiers surveillaient les signes
vitaux tout au long du processus.
Après son effondrement, le patient
réémergeait en consommant du
glucose. Je trouve peu d’analyses
de l’usage de ce traitement
dépassant l’accumulation
d’anecdotes, en excluant l’article de
Coline Fournout, cité ci-dessous. Je
me mets à lire sur la clinique de La
Borde (à Cour-Cheverny, en France)
comme une digression, en sachant
qu’il s’agit aussi d’un intérêt d’A. Au
hasard, en interceptant certaines
sources, j’apprends que la cure de
Sakel y a été pratiquée. Je m’étonne
d’abord qu’on ait pu administrer là
l’insulinothérapie en parallèle aux
séances de schizoanalyse de Félix
Guattari. Camile Robcis ne
mentionne pas la cure dans son
histoire de la psychiatrie
institutionnelle en France. Elle
apparaît cependant par le
truchement d’une illustration de la
« grille » de La Borde. Conçue par
Guattari, cet horaire attribuait les
mêmes postes de travail à plusieurs
employé·es afin de déréguler les
hiérarchies. Il faut être très attentif
pour y voir deux « lignes »
consacrées aux plages de l’insuline,
entre 6 h et 13 h, et le soir, avant le
dortoir. Ces tracés révèlent
également que les infirmiers et
infirmières responsables de la cure
et les psychiatres gardaient leurs
places. Lors de ses entretiens et de
ses séminaires, Jean Oury,
fondateur de La Borde, n’hésite pas
à évoquer l’usage de la cure durant
les décennies 1950 et 1960. Il
s’agissait encore, pour Oury, de la
seule Pharmakon efficace. On créait
une « ambiance » pendant la
période de réveil supervisée, avec de l’éclairage
tamisé, en espérant
éviter le phénomène de
« pathoplastie », ou, la rétroaction
négative de l’hôpital sur l’état du
patient. Cet « entour » (mot de
Oury), comparable au concept
d’environnement soutenant de
Donald W. Winnicott, était au centre
de l’approche de la psychiatrie
institutionnelle. La chambre
aseptisée devenait la « mère
suffisamment bonne » après le trou
noir. Coline Fournout souligne ainsi
que la séquence du coma et du
réveil assimile le patient au petit
enfant, en autant de métaphores
genrées de la reproduction sociale.
Au cours d’une des sessions du
séminaire de La Borde en 2008,
Oury a abordé le transfert qui se
produit lors de la prise de
médicaments, en disant : « [...] » Si
on fait « l’insuline » dans un milieu
feutré, calme, et qu’on réunit
régulièrement les patients pour
mener une conversation plus ou
moins didactique en rapport avec la
cure (pourquoi l’insuline?
Habituellement c’est pour le diabète,
alors que là...), on constate que l’on
fait baisser le quantum d’angoisse et
en même temps la dose nécessaire
pour obtenir le coma (par exemple,
80 unités au lieu de 160). »
L’équilibre homéostatique entre les
effets de la thérapie transférentielle
et du resucrage reposait sur cette
longue durée du maternage. Plus
tard – comme le précise Oury
lui-même –, ce laps de temps
s’amenuisera, et les espaces de
l’hôpital impartis au traitement
deviendront de plus en plus exigus.
La cure de Sakel aura désormais
pour visée principale de mettre en
sourdine les comportements
indésirables des patients. Mel E.
Chen observe que le concept
d’agitation existe au sein d’un vaste
champ sémantique et de
paradigmes sans commune mesure.
Sur le plan politique, l’agitation se
rapporte, selon Chen, à une
insurrection du corps, une
« performance opaque », où
l’individuel et le collectif se
confondent. Iel déploie la notion de
geste bien au-delà de sa définition
restrictive d’action volontaire, et
suggère qu’il peut aussi constituer
un mouvement entre l’intention et la
non-intention. Même à La Borde, on
a cru contenir l’agitation en faisant
glisser les patients dans le coma
insulinique. Aujourd’hui, ce
traitement de choc est relégué aux
horreurs de cette « période
d’ajustement » de la psychiatrie : le
moment où l’on estimait qu’il était
possible d’enrayer la psyché afin
d’aller instituer les normes sur le
vide défriché. Les références
consultées pour écrire cette partie
du texte se cantonnent à un
contexte français, en passant
quelquefois par l’anglais de la
« French Theory » (le livre traduit de
l’américain de Camile Robcis et la
thèse de David Reggio). Je n’ai rien
pu trouver localement, excepté
l’évocation de l’insulinothérapie par
un psychiatre québécois, qui en a
été témoin pendant ses études en
France au cours des années 1950.
A contourne la représentation de la
cure en la nommant cependant dans
sa lettre acheminée aux hôpitaux de
Gatineau et d’Ottawa, afin de
s’enquérir de son usage possible là
pendant les années 1960 et 1970. A
apprend qu’uniquement un
chercheur accrédité dans le champ
de la médecine peut consulter les
documents attestant qu’un tel
traitement a été donné, ou non.
Mettant en branle la suite de son
protocole sans s’arrêter au mur qui
tombe, A estime que quiconque doit
accéder à cette information.

(1) Camile Robcis, Désaliénation : Politique de
la Psychiatrie, Tosquelle, Fanon, Guattari,
Foucault, Paris, Éditions du Seuil, 2024.

(2) Félix Guattari, « La “grille” », Chimères.
Revue des schizoanalyses, no 34 (1998), pp.
7-20.

(3) David Reggio, The Ethic, Phenomenology
and Diagnostic of post-war French
Psychiatry, Londres, University of London,
2005. Thèse de doctorat.

(4) David Reggio, Mauricio Novello, « Interview:
Jean Oury: The hospital is ill », Radical
Philosophy, no 143 (2007), pp. 32-45.
(5) Coline Fournout, « L’imaginaire
thérapeutique des chocs à l’insuline »,
GLAD, no 12 (2022). En ligne.

(6) Jean Oury, « Séminaire de La Borde,
2008 », La clinique lacanienne, no 15 (2009),
p. 17

(7) Mel E. Chen, « Agitation », The South
Atlantic Quarterly, vol. 117, no 3 (juillet 2018),
p. 551-566.

(8) Pierre Doucet, « Devenir psychiatre au
Québec dans les années 1950 et 1960 »,
Santé mentale au Québec, vol. 40, no 2 (été
2015), p. 35-49.
Je, Tu, Il, Elle (1974) de Chantal
Akerman n’est pas cité, à
proprement parler, au sein des
performances et des protocoles d’A.
Son apparition relève plutôt d’une
occurrence du « signifiant flottant »
du sucre, mis en exergue une
première fois lors d’une exposition
au Lieu, à Québec, en 2023
(intitulée des phrases sur la nature
du feu), puis à L’imagier. Le film se
divise en trois parties que la
cinéaste nomme le temps de la
subjectivité, le temps de l’autre ou
reportage, et le temps de la relation.
Le premier segment montre le
confinement, dans une chambre,
d’un personnage, Julie, joué par
Akerman elle-même, tandis qu’elle
écrit des lettres. Le deuxième
segment nous fait suivre Julie en
autostop avec un camionneur. Le
troisième segment est consacré à la
rencontre entre Julie et son amante,
ainsi qu’au rapport sexuel qui s’en
suit, capté en plans longs. Les
pronoms « Je », « Tu », « Il », « Elle »
du titre correspondent aux différents
modes d’énonciation : la narration
de la voix hors champ (je), l’écriture
des lettres (tu), le monologue du
camionneur (il) et le dialogue
presque silencieux avec l’amante
(elle). La séquence de l’évidement
de la chambre ouvre la première
partie. La voix décrit d’abord le
registre réduit de la chorégraphie de
Chantal/Julie : déplacer les meubles
dans le corridor, repeindre les murs.
Ensuite, il ne reste plus que le
matelas comme accessoire. Les
actions, qui se déroulent dans une
unité de temps difficilement
quantifiable, sont celles des
mouvements de cet objet et du sujet
(assis, debout ou couché,
consommant du sucre en poudre,
rédigeant les lettres). Akerman a
déclaré à la critique Ruby Rich, au
cours d’un entretien en 1976 : « J’ai
tourné Je, tu, il, elle en 1974, mais le
film provient d’un récit que j’ai écrit
en 68 ou 69, je ne sais plus trop. Et
c’est très personnel. Ce n’est pas
autobiographique, parce que c’est
très structuré, mais il reste des
éléments que j’ai vraiment
expérimentés lorsque j’étais plus
jeune. » La performance elliptique
pourrait donc se rapporter de près
ou de loin aux gestes posés à ce
moment. En revanche, la longue
durée du séjour, en vase clos, dans
la chambre, nous situe au sein d’un
temps et d’un espace suspendu,
bien éloigné d’une représentation de
la vie quotidienne du passé ou du
présent. D’importants décalages
sont perceptibles entre l’énonciation
en voix hors champ et les images.
Le moment qui a retenu le regard
d’A advient presque au milieu du
premier segment du film, lorsque
Chantal/Julie fait tomber le sac,
dans un geste maladroit. Je me
donne comme tâche de lire toute la
fortune critique, et d’isoler des extraits
qui se rapportent au sucre et
au symptôme. Je fais fi de
commenter le et de citer le texte de
Françoise Audé, homophobe.
Contre toute attente, Gilles Deleuze
réduit le premier épisode à
l’enfermement psychiatrique :
« Cloîtrée dans la chambre,
l’héroïne de Je, Tu, Il, Elle enchaîne
les postures asilaires et enfantines,
involutives, sur un mode qui est
celui de l’attente, en comptant les
jours : une cérémonie de
l’anorexie. » Judith Mayne, quant à
elle, renforce le mécanisme du
pathologique par l’imposition d’une
grille psychanalytique simplifiée.
Cependant, contrairement à Audé,
elle expose l’hétéronormativité que
l’on projette ainsi sur les images
d’Akerman. Mayne dit : « L’ingestion
de sucre en poudre par Akerman
dans la première partie rassemble
tous les symptômes d’un trouble
alimentaire. [...] Plus
spécifiquement, les rapprochements
entre le sexe et la nourriture
évoquent les diagnostics
d’homosexualité comme une
régression, une croissance arrêtée,
dans la mesure où le désir d’une
femme pour une autre femme serait,
en fait, un désir de fusion avec la
mère. » Sur le fil du rasoir du lien
d’inconnu maternel, Brenda
Longfellow brosse le portrait de
Chantal/Julie : « une petite
hystérique, prise au piège d’un cycle
économique où les événements se
répètent sans laisser de trace autour
d’un noyau psychique vide, qu’elle
tente de combler en se gavant de
sucre et en s’adonnant à une
écriture cathartique. Cette écriture,
cependant, fonctionne moins en tant
qu’acte de communication, et plutôt
à la manière d’un objet transitionnel,
un objet tactile. » Récemment, les
commentateur·ices ont greffé la
boulimie et la dépression à l’hystérie
et à l’anorexie. Marion Schmid, qui
évoque d’abord le « droit à
l’opacité » du personnage faisant
dos aux spectateur·ices, énonce
ensuite ce constat sur la
performance virtuose de la maladie
mentale chez Akerman : « Jamais la
dépression comprise comme une
perte fondamentale de soi n’a-t-elle
été jouée de manière aussi viscérale
que par l’actrice, âgée de 24 ans. »
[...] « Les gestes agressifs de sa
petite cuillère puisant dans un
paquet de sucre et la manière
mécanique dont elle se gorge de
cette seule denrée, tout ici nous
parle d’une existence piégée dans la
répétition compulsive. » Mathias
Lavin ramène les truismes
anthropologiques, cette fois, pour
construire un « symptôme de
boulimie » à partir de la forme
stylisée, ritualisée, de la
consommation d’un aliment isolé. Le
sucre, en plus de mal nourrir, ne
serait pas assez « symbolique ».
Selon Lavin, le circuit se rompt
lorsque le personnage manifeste sa faim réelle.
Elle arrive alors, enfin, à
prendre congé de cette chambre.
Dans l’exégèse du film, l’action
d’intercepter l’ingestion du sucre
opère toujours comme épinglage
d’un passage à l’acte. Un bouclage
se produit : on projette vers l’autre
en associations libres une
anamnèse que l’image
convoquerait, en se dédouanant de
son inconscient. L’œuvre
partiellement ouverte d’Akerman
pourrait donner lieu à un pliage du
symptôme gagnant ainsi en
autonomie en s’éloignant de la
clinique. George Didi Huberman
propose cette redéfinition : « le
symptôme est un signe imprévu,
perturbateur et intense, qui révèle
visuellement quelque chose qui
n’est pas encore perceptible,
quelque chose que nous ne
connaissons pas encore. » Or,
derrière ce flottement, cette
agitation, se trouve toujours
l’arrière-fond de l’hystérie. Beaucoup
plus tard, Akerman ajoutera
l’épithète « manic » dans les titres de
certaines de ses installations (Manic
Summer, 2009, Manic Shadows,
2012), sans donner, cependant, sur
le plan de la représentation ou de
l’énoncé d’intention, des indices de
symptômes et de diagnostics. Dans
un entretien avec Elisabeth Lebovici,
elle parle plutôt de ses apparitions
au sein de ses films comme relevant
du burlesque « chaplinien ». Il se
trouve pourtant là, en filigrane, à
travers ces mouvements, un trauma
ressassé par Akerman elle-même
dans ses écrits. L’espace qu’elle
aménage pour le spectateur et la
spectatrice nous demande
néanmoins de ne pas franchir la
lisière de l’irreprésentable, car
l’œuvre résiste à la capture. Nous
voyons les images, sans qu’elles
soient adressées, comme la lettre
de Julie qui est visible, mais dont le
contenu reste illisible.

Par Vincent Bonin


(1) B. Ruby Rich, « Chantal Akerman Interview,
Chicago, 1976/2016 », Film Quarterly,
vol. 70, no 1 (automne 2016), p. 18.

(2) Françoise Audé, « Le Cinéma de Chantal
Akerman, la nourriture, le narcissisme,
l’exil », dans Chantal Akerman Cahier 1,
sous la direction de Jacqueline Aubenas,
Bruxelles, Atelier des Arts, 1982, p. 151-163.

(3) Gilles Deleuze, L'image Temps. Cinéma 2,
Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 255.

(4) Judith Mayne, The Woman at the Keyhole,
Bloomington / Indianapolis, Indiana
University Press, 1990, p. 132-133. Notre
traduction.

(5) Brenda Longfellow, « Love Letters to the
Mother : The Work of Chantal Akerman »,
Canadian Journal of Political Theory, vol. 13,
no 1-2 (1989), p. 86. Notre traduction.

(6) Marion Schmid, « Chantal Akerman ou les
performances du moi », Décadrages, nos 46
et 47 (2022). En ligne.

(7) Mathias Lavin, « Le régime Akerman ou
food, family and ecology », Décadrages, nos
46, 47 (2022). En ligne.

(8) George Didi-Huberman, Devant le temps.
Histoire de l’art et anachronisme des
images, Paris, Minuit, 2000, p. 221.

(9) Elisabeth Lebovici, « No Idolatry and Losing
Everything that Made You a Slave : Chantal
Akerman in conversation with Elisabeth
Lebovici », Mousse (2011). En ligne.

(10) Chantal Akerman, Ma mère rit, Paris,
Mercure de France, 2013.